Vic 2018: La Féria qui n'a pas été ce qu'on voulait qu'elle soit
Photos Matthieu Saubion
Videos Alain Garres / Corrida TV
Les
années se suivent et ne se ressemblent pas. Après une édition 2017 d’un très
bon niveau tant au plan toros que toreros, la Féria vicoise 2018 ne laissera
pas de grands souvenirs aux aficionados présents.
L’an passé, les organisateurs
avaient réussi à trouver un équilibre entre les différents acteurs avec la
participation de toreros en capacité de faire face à un bétail qui était particulièrement
bien sorti .
Cette année les toros ont failli, manquant de fond et souvent de race.
Quand aux toreros, c’est comme pour certaines productions d’opéras, quelques
erreurs de casting pour les premiers rôles et des seconds rôles « respectables »
mais dépassés par la partition et l’exigence des « mélomanes »
locaux. Seuls Lopez Chaves et De Justo, à un degré moindre Chacon, ont tenu
leur rang. La jeune étoile montante, Manolo Vanegas, grièvement blessé quelques
jours plus tôt, n’a pas pu tenir sa place. Parfois la doublure en profite pour
faire un « tabac », le pauvre Sébastian Ritter venu en remplacement
de son compatriote n’avait pas le niveau technique pour jouer une partition
fade et sans grand intérêt mais quand même abordable.
Côté
bétail, sur 28 reses torées et tuées, seul l’exceptionnel quatrième novillo de
Retamar et le brave et noble toro de La
Quinta qui a ouvert la concours ont permis aux aficionados de ne pas sombrer
dans la dépression.
A
Vic, on vient pour voir des piques, et la bravoure du Retamar a permis au piquero
français Laurent Langlois d’être ovationné à sa sortie du ruedo par le public
debout. Langlois est un picador très pro et efficace. Il a su ce samedi vicois
mettre en évidence les qualités du novillo sans en altérer le potentiel. De ce
tercio, on retiendra surtout le grand premier puyazo où le piquero a su
contenir l’animal, se sortir d’une situation compliquée évitant la chute et
tenant jusqu’au bout d’un combat où nombre de ses collègues auraient mordu la
poussière. Le toro noble et encasté ne demandait qu’à donner ses oreilles. El
Adoureño est passé à côté d’un triomphe qui aurait donné un nouvel élan à une temporada qui a du
mal à démarrer pour le jeune nogarolien. Je trouve assez malsain le
comportement d’une partie du public à son égard. Il est évident que depuis le
début de la saison, Yannis n’est pas bon et n’arrive pas à trouver le sitio. De
là à tirer à boulets rouges sur le garçon avec un petit air méprisant oubliant
qu’il a commencé sa carrière en piquée dans la vallée de la terreur où certains
toreros sortis des écoles taurines ne mettront jamais les pieds, est un peu
facile. Comme les novilleros de l’ère d’avant les écoles taurines, il a un
bagage technique qui demande à être complété et consolidé. Lors de ses faenas,
il est seul pilote à bord. Il n’est pas téléguidé
tel un drône depuis le callejon comme le sont nombre de ses collègues. En conséquence
il fait des erreurs, ne structure pas ses faenas, n’a pas la solution aux
problèmes rencontrés. Il ne pourra progresser et se positionner dans des arènes
de première catégorie que si son entourage comprend qu’il a besoin d’un
technicien auprès de lui pour le faire travailler entre deux contrats et le
conseiller quand il est face à un novillo. Cela ne garantira pas la réussite
mais s’il continue à ne pas être mieux accompagné, il va droit dans le mur et n’oublions
pas que les novillos peuvent faire plus mal qu’une nécessaire remise en
question.
Face
au La Quinta Oscar Bernal est à créditer d’un très bon tercio de piques, dans l’esprit
concours en grande partie grâce à la
lidia irréprochable de Lopez Chaves. Le toro a beaucoup de qualités mais serait
passé inaperçu sans la volonté du torero de Ledesma de la mettre en valeur.
Domingo est un lidiador de premier ordre. Il est pour moi le meilleur torero de
cette Féria. On peut juste regretter qu’il n’ait pas osé plus solliciter le La
Quinta par le bas. Sur une ou deux séries, il l’a fait et le toro a répondu
présent. Comme il a surprotégé le bicho en ne la faisant pas piquer une
quatrième fois, le torero ne l’a pas
poussé dans ses derniers retranchements à la muleta privant probablement le La Quinta d’une vuelta.
Après un novillada entretenue
grâce aux utreros d’El Retamar et à l’application
de Pacheco, le desafio Valdellan vs Los Maños nous a paru bien indigeste. Les
Valdellan manquent de race et de chispa et ressemblent de plus en plus aux Hoyo
de la Gitana d’il y a dix ans.
Les
Los Maños confirment que s’ils brillent au premier tiers, ils manquent de fond
et vont souvent très vite à menos. Face à de tels toros, c’est le torero qui
doit assurer le show à lui tout seul. Escribano
et Sergio Florès n’ont ni la motivation, ni le niveau technique
de le faire (n’est pas El Fandi qui veut). Sebastian Ritter toréé trop peu pour
qu’on lui reproche de n’avoir rien pu faire.
La
corrida concours vicoise est aujourd’hui une référence. Les organisateurs ont
voulu mettre en honneur l’encaste Santa Coloma. Ils ont fait l’erreur de croire
que cette encaste se limite aux toros d’origine Buendia. Cette branche
donne souvent des toros manquant d’énergie et souvent sosos. Voir défiler six « buendia »
conduit souvent soit à une overdose de noblesse, ce furent longtemps les bichos
préférés des figuras, ou bien à un défilé de toros faiblards et sans entrega. A
l’exception du premier intéressant, ce sont cinq toros insipides qui sont
sortis en piste. L’intérêt d’une corrida concours réside dans la variété des
élevages et des comportements.
Les concours de 2016 et 2017 étaient montées
dans cet esprit et ont été intéressantes, en particulier celui de l’an passé.
Le choix des élevages de 2018 est une
erreur qu’il ne faudra pas renouveler lors des prochaines éditions. Côté toreros,
la présence de Lopez Chavès s’impose naturellement et il gagné par son sérieux
et son sens de la lidia le droit de revenir l’an prochain. Le choix de Pepe
Moral et de Tomas Campos est une erreur de casting. Ce sont des toreros estimables,
capables de faenas brillantes et élégantes mais ce ne sont pas des lidiadores. Seraient-ils
venus si d’autres branches de la famille Santa Coloma avaient figuré au cartel ?
Pepe Moral a été très mal servi au sorteo mais sa lidia au premier tiers n’est
pas digne d’une corrida concours vicoise. Campos ne pouvait pas faire grand-chose
d’un Yonnet décasté et deslucido. Par contre il est responsable du scandaleux
tercio de piques au toro de Los Maños. Je ne partage pas toujours la vision du
premier tiers de Gabin Rehabi et nous en avons déjà discuté et en discuterons
encore. On ne peut lui enlever sa passion du métier de picador et sa volonté de
marquer ce premier tiers de sa personnalité. Gabin, chouchou du public et des
organisateurs vicois, est entré en piste sous l’ovation et en est sorti sous
les sifflets. Entretemps, il avait piqué non dans le but de mettre en valeur un
toro dans une corrida concours mais pour casser le Los Maños comme on le
fait quand un toro inspire la crainte à la cuadrilla et/ou pour protéger un
matador dont on pense qu’il ne sera pas à la hauteur. Il est évident que Gabin
l’a fait à contrecœur, il a tout à perdre,
et a beaucoup perdu, à agir ainsi. Il est le salarié du matador, a reçu des
instructions et a du les appliquer. Le vrai responsable n’est pas le piquero, c’est
le matador qui est à l’origine de ce manquement à l’éthique. La compétition
entre les picadors a été faussée. Que serait il advenu de celle entre les
ganaderos si le Los Maños avait eu plus de qualité .
La corrida de l’après-midi
a confirmé que si les Raso de Portillo peuvent être très intéressants en novillada, l’élevage n’est pas
en mesure de sortir une corrida complète. Décastés et deslucidos, les Raso,
dont certains étaient hors du type, ont posé des problèmes aux toreros. Ils ont
transmis une émotion parce qu’il y avait du danger. Pourtant pour moi, ce n’est
pas cela une corrida dure dont l’émotion est créée par le combat d’un toro qui
ne s’en laisse pas compter face à un torero qui se joue la vie. Des toros, tels
le troisième, dont le genio et la manque de race dictent le moindre de leur
comportement auraient été autrefois abandonnés au chien ou à la media-luna.
Pour moi la corrida dure (ou à la vicoise) c’est Cantinillo manso perdido mais
un fond de caste (mala casta bien sûr, mais casta quand même), toro avec une
vrai personnalité.
Ce qu’on a vu à Vic ce sont des mansos quasi moruchos qui se
défendaient sur place sans charger (le troisième) ou complètement désintéressés
par ce qui se passe en piste (second, quatrième et sixième). Seuls offraient quelques
possibilités le premier dont a su profiter Chacon et le cinquième soso et sans
difficulté à côté duquel est passé
Nazaré. L’erreur serait de vouloir défendre au nom de notre vision torista un
tel lot. Ce serait aussi contreproductif pour nous que pour les « toreristes »
de défendre les indultos de certaines
arènes au nom de la vision artistique de la tauromachie. L’Aficion est faite de
partis pris et de subjectivités mais on ne doit pas oublier que des gens tout à
fait respectables ont payé, souvent cher, pour s’assoir sur les gradins pour s’ennuyer
pendant trois heures.
De
tels lots, pour donner de grandes corridas, nécessitent de grands techniciens
et lidiadores (Ruiz Miguel, César RINCON, …). S’ils sont courageux et respectables
parce qu’ils se mettent devant de tels toros, Nazaré et Lamelas n’ont pas le
niveau.
On
espérait que les Pedrazas allaient sauver la Féria. Il n’en a rien été, hélas. On ne
peut pas demander à des toros de presque six ans, en surcharge pondérale avec
des problèmes au niveau des membres postérieurs de livrer le même combat que
les novillos qui sortent à Garlin ou les premiers lots sortis à Azpeitia ou
Dax.
Les vicois ont péché par orgueil en
voulant un lot hors norme et Martin Uranga a vendu un lot qu’il n’aurait jamais
pu vendre. Résultat des toros superbes, inexistants à la pique, incapables
morphologiquement de baisser la tête, s’essoufflant rapidement et perdant l’équilibre,
ils n’ont pas beaucoup été aidés par Diaz, Luque et De Justo qui les ont toréés
sans leur donner suffisamment de distance, les étouffant à vouloir les toréer
de près ; De cette course, je retiendrai les naturelles au quatrième de De Justo qui a réalisé à ce toro, la
meilleure faena de l’après-midi.
Faena qu’une grande partie du public n’a pas vue.
Le dernier Pedraza, le plus jeune du lot, a été brave au cheval et a redonné un
peu d’espoir au public. Pour forcer le
succès, Emilio a opté pour une tauromachie trémendiste dans le berceau des cornes.
Résultat une voltereta impressionnante, un torero commotionné qui reçoit une
oreille contestée avant de partir à l’infirmerie.
Le
parti pris vicois, le côté expérimental de certains cartels génèrent forcément
des férias décevantes comme celle-ci. La
difficulté est de garder le cap, surfer sur les réussites et ne pas perdre le
matelas de spectateurs occasionnels que l’édition 2018 peut inciter à limiter leur présence voire à
ne plus venir. Le pari est ambitieux, mais
la tâche est difficile. Pourtant il ne faut pas lâcher Vic car il y a plus de
mérite de monter ce type de Féria que d’organiser un défilé de figuras devant
des toros sans relief avec distribution d’oreilles à gogo.
Pour
les amateurs de statistiques, le palmarès de la Féria vicoise est le suivant :
Trophée “Paul Clarac” du meilleur toro de la Feria 2018 : desierto
• Prix spécial attribué au novillo N°33 “AVECEJON ”de la ganaderia de “EL RETAMAR”, né en décembre 2014, melocotón, lidié en 4ème par El Adoureño lors de la novillada piquée du samedi 19 mai 2018 en matinée. Vuelta al ruedo du novillo
• Trophée “Jean-Jacques Baylac” du meilleur toro de la concours : N°21 “OLIVITO” de LA QUINTA né en octobre 2012, cárdeno, lidié en 1er de forme exceptionnelle et en grand chef de lidia par Domingo LÓPEZ CHAVES. Forte pétition de vuelta al ruedo pour le toro
• Prix au meilleur picador : Óscar BERNAL MATÍAS (de la cuadrilla de Domingo López Chaves) ayant piqué le toro de “La Quinta” ; caballo de la cuadra de bonijol : “Destinado”
• Meilleur lidiador de la Feria : Domingo LÓPEZ CHAVES
• Meilleur banderillero : Manuel Ángel GÓMEZ ODERO de la cuadrilla de Emilio De Justo, pour son grand tercio de banderilles au 6ème toro de PEDRAZA DE YELTES, lors de la corrida du lundi 21 mai
Meilleur Novillero lors du tentadero du lundi 21, en matinée, devant de bonnes vaches de Alma Serena (famille Bats) : Adam SAMIRA (École Taurine du Pays d’Arles). Il est qualifié pour la novillada non piquée de la Saint-Matthieu en Septembre.
• Prix spécial attribué au novillo N°33 “AVECEJON ”de la ganaderia de “EL RETAMAR”, né en décembre 2014, melocotón, lidié en 4ème par El Adoureño lors de la novillada piquée du samedi 19 mai 2018 en matinée. Vuelta al ruedo du novillo
• Trophée “Jean-Jacques Baylac” du meilleur toro de la concours : N°21 “OLIVITO” de LA QUINTA né en octobre 2012, cárdeno, lidié en 1er de forme exceptionnelle et en grand chef de lidia par Domingo LÓPEZ CHAVES. Forte pétition de vuelta al ruedo pour le toro
• Prix au meilleur picador : Óscar BERNAL MATÍAS (de la cuadrilla de Domingo López Chaves) ayant piqué le toro de “La Quinta” ; caballo de la cuadra de bonijol : “Destinado”
• Meilleur lidiador de la Feria : Domingo LÓPEZ CHAVES
• Meilleur banderillero : Manuel Ángel GÓMEZ ODERO de la cuadrilla de Emilio De Justo, pour son grand tercio de banderilles au 6ème toro de PEDRAZA DE YELTES, lors de la corrida du lundi 21 mai
Meilleur Novillero lors du tentadero du lundi 21, en matinée, devant de bonnes vaches de Alma Serena (famille Bats) : Adam SAMIRA (École Taurine du Pays d’Arles). Il est qualifié pour la novillada non piquée de la Saint-Matthieu en Septembre.
Thierry Reboul
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