Les rencontres d'EL NENE : STEPHAN GUIN


 Il a eu l’extrême gentillesse de répondre à quelques questions sur son « métier » de revistero pour le Midi-Libre… il nous parle de ses souvenirs avec Nimeño, de son aficion…il répond avec beaucoup de franchise et d’honnêteté sur sa relation entre presse écrite et « acteurs » du mundillo, sur ceux qui sont devenus ses « amis », sur l’afeitado (l’indulto j’ai pas demandé je voulais pas qu’il m’énerve) sur la transmission…

Un mec que j’adore, l’excellent Stephan Guin… n’ayez pas peur de lire dans son intégralité tout y est pour moi extrêmement intéressant…
Bonne lecture et merci Steph 🙏🏻
 
Est-ce que tu peux nous parler tout d’abord de ton parcours d’aficionado? Tes premiers souvenirs?
« Mon père m’a amené à ma première corrida à l’âge de 6 ans à Béziers en 1978 comme je l’ai fait ensuite avec mes enfants dès l’âge de trois que j’ai pris aux arènes et au campo. J’ai transmis ma passion à mon aîné qui est déjà un bon aficionado qui suit toutes les corridas alors que le plus petit vient épisodiquement mais n’a pas récupéré le virus. Comme quoi, avec la même éducation, on peut générer la passion ou pas.
Mon premier souvenir est Nimeño à Béziers en 1978 ou 1979 avec un costume tabac et or qui a fait un pecho à genoux. Je garde cette image car cela m’avait paru incroyable. Après, nous allions tous les mardis soir à l’Union taurine biterroise écoutait les conférences et voir les corridas de la TV espagnole. J’écoutais les anciens comme Mr Berlandier, Max Tastavy, Didier Bertrand, Richard Pascal ou Serge Calmet et je buvais leurs paroles et je voulais tout comprendre dès mon plus jeune âge. On allait à toutes les corridas à Béziers et Nîmes où vivait le cousin de mon père qui était un grand aficionado qui lui a transmis le virus.
Mais la rencontre de Christian et Alain Nimeño a fait de cet intérêt une passion dévorante. Sans eux, je pense que je serais resté aficionado comme beaucoup mais les moments partagés ont fait devenir la tauromachie comme une drogue. On suivait Christian dans toutes les arènes de la région et dans le Sud-Ouest à Vic ou Mont-de-Marsan. Il était à la fois mon idole, mon héros et mon modèle. Je buvais ses paroles et, à l’époque, peu de jeunes trainaient dans ce milieu. De mes 8 ans à mes 15 ans, c’était le père Noël et sa Mercedes Bleue classe E sa hotte. Quand on allait le voir, souvent il me disait de venir à sa voiture et sortait du coffre une oreille, une affiche d’Espagne ou d’Amérique du Sud et, un jour, il m’a offert une ayuda avec laquelle il a toréé à Mexico. Le plus beau cadeau de ma vie !
Alain était indissociable car j’aimais l’écouter après le sorteo parler des toros du soir avec mon père et il m’a fait découvrir l’envers du décor avec les premiers toros dans les corrales, les premiers sorteos et les premières mises en chiqueros. Sans Christian et Alain, je crois que la passion n’aurait pas été si forte. C’est une chance inouïe de côtoyer son idole et qu’il soit si gentil avec un gamin.
Plus de trente ans après, il ne passe pas un mois sans que je pense à Nimeño et ces discussions. J’ai animé une conférence vendredi à Béziers sur un film retraçant son parcours. Je n’aime pas revoir les images et c’était un moment très dur qui m’a fait pleurer à plusieurs reprises. Bizarrement, j’ai suivi Christian pendant 10 ans et en 1989, je n’ai pas voulu aller le voir à Béziers, Nîmes et Arles car j’avais trop peur de le voir sur le sable. Je ne suis ni croyant, ni superstitieux, mais c’était devenu un calvaire de le voir dans l’arène.
Je crois que si j’avais été à Arles ce sinistre 10 septembre 1989, je n’aurai pas pu retourner dans l’arène. C’est le seul point positif car cet accident m’a permis de garder l’image de mon héros jeune. Avec son regard mélancolique et cette voix à la fois douce et forte. Je ne m’imagine pas Christian à 70 ans. Mais qui imaginerait James Dean en vieillard ? J’en garde deux grands regrets. Le matin de la Miurada de Béziers, on a discuté un quart d’heure à l’Imperator, je ne savais pas que c’était un adieu en lui serrant la main. J’aurais aimé lui dire tout cela et MERCI. Le second est un guerrier mérite de mourir au combat et, je crois qu’il l’a dit pendant sa convalescence, il aurait été mieux que tout finisse à Arles. »
 
Comment est-ce qu’on passe d’aficionado averti à critique taurin pour un journal comme le Midi-Libre?
« De 8 ans à 35 ans, j’étais aficionado comme les autres. J’allais aux corridas en France, puis à partir de 2004 en Espagne et dans les clubs taurins de Béziers. J’étais dans le club toriste de la ville, « Tendido 7», où il y avait le journaliste taurin de La Marseillaise qui couvrait aussi le rugby avec celui de Midi Libre. Lors d’une réunion, il me dit que Midi Libre cherche un chroniqueur et si j’étais intéressé. Évidemment cela m’a plu, mais je ne savais pas si j’étais capable car je n’avais jamais écrit et je ne suis pas littéraire. J’ai rencontré le directeur de la locale, on a fait un test une semaine avant la Feria de Béziers à Boujan et l’aventure se poursuit depuis 2007. Depuis j’ai collaboré avec des hebdos ou mensuels et, maintenant, je me concentre sur Midi Libre et Cultoro en Espagne.
Pour l’anecdote, le premier papier fut un véritable fiasco. Le 1er novillo de ma première course a cassé la portative et le Gallon se baladait au pied du public avant qu’Enrique Guillen ne le tue sur le terrain de basket mitoyen. J’essaie de capter quelques infos car un monsieur était blessé et les nouvelles étaient rassurantes. Le lendemain je titre : « plus de peur que de mal ». Deux jours après, le monsieur décédait des suites de l’opération car il avait des problèmes de santé. On ne pouvait pas imaginer de pires débuts! »
 
Certains se plaignent que le Midi-Libre n’est pas suffisamment taurin et fait trop la part belle aux antis? Qu’est ce que tu en penses?
« Je vais te répondre franchement. Quand je lis ce style de commentaire, je me dis que certains aficionados sont plus cons que les antis taurins ! Midi Libre est un journal d’information et il est normal de parler de l’actualité quand il y a une manifestation des antis. Pour être factuel sur une féria de 5 jours comme Nîmes, tu as 20 pages de tauromachie plus 5 papiers en pages région. Et les gens crient au scandale pour un papier qui couvre la manifestation des antis. Ridicule ! Il faut sortir de son village et aucun quotidien régional ou national en Espagne n’a une couverture aussi large. Je mets quiconque au défi de me prouver le contraire. Dans une rédaction, il y a des aficionados et on peut trouver des antis. Mais Midi Libre assure une large couverture de la tauromachie et la facilité serait de réduire la voilure car des annonceurs refusent d’associer leurs noms à la corrida et 90% des commentaires sur le web sont des antis. » 
 
Est ce que en tant que critique taurin ton aficion a évolué? Est ce que tu écrirais aujourd’hui ce que tu écrivais à tes débuts? Plus dur? Plus tolérant? Quels sont les toreros et/ou ganaderias qui ont marqués ta culture taurine et l’ont faite évoluer?
« Vivre ma passion ainsi de l’intérieur depuis bientôt 20 ans est un privilège incroyable. Je vis des choses dont je n’aurais même pas rêvé en allant dans toutes les arènes de France et Espagne, dans tous les élevages et en rencontrant des toreros, novilleros ou cuadrillas. Quand tu es aficionado depuis plus de 25 ans, tu es plein de certitudes sur les toros et comment toréer. Ces rencontres m’ont beaucoup appris et j’apprends encore tous les jours et tu déconstruis tes certitudes. Comme le disait Einstein, «plus j’apprends, plus je réalise que je ne sais pas». J’espère ne pas être trop mauvais aficionado, mais quand tu regardes une corrida avec un torero, un ganadero ou un novillero, tu te rends compte qu’il y a plein de détails essentiels que seuls eux perçoivent.
Du coup, dans les reseñas, j’évite les critiques de type « il aurait dû faire ceci ou cela » comme je l’aurais fait avant car il y a de bonnes chances que je me trompe. Éventuellement, tu dis « peut-être que… ». Ça me fait sourire maintenant dans les tertulias quand les gens sont pleins d’affirmations alors qu’ils n’ont jamais toréé mais je faisais pareil avant !
Concernant les ganaderias qui m’ont marqué : Sepulveda et Guardiola dans les années 80, puis Victorino et Miura évidemment. Concernant les toreros, hors Nimeño et Castella qui ont une place à part, je dirai Manzarares père, Ojeda, Joselito et Morante. Pour en retenir un seul, ce serait Joselito car j’étais impressionné par le torero et le charisme de l’homme. A ce sujet, j’ai deux anecdotes. Je l’ai interviewé par téléphone avec son retour à Istres et j’ai bégayé tout l’entretien tellement j’étais impressionné. Idem quand je me suis retrouvé à ses côtés pendant 2h30 dans un burladero à Nîmes quand il apoderait Talavante. Je n’ai pas osé lui parler tellement il m’impressionnait, ni le déranger pour une photo. En 2h30, notre échange s’est résumé à « buenas tarde maestro » et « quieres agua maestro » quand je suis allé à la buvette entre deux toros ! »
 
Est-ce que tu as des « mentors » aussi bien dans la presse française que espagnole qui influencent ou ont influencé ton écriture?
« J’ai appris sur le tas et par la lecture de l’Équipe depuis gamin. Quand j’ai commencé au Midi Libre, j’ai lu beaucoup de magazines d’actualité avec un regard différent. Comment ils construisaient leur papier, leurs entrées et sorties de sujet, comment ils amenaient les citations… Je n’ai malheureusement pas la belle plume d’un Zocato, d’un Jacques Durand ou Roland Masabiau à Midi Libre. Je n’ai pas de mentor mais comment ne pas s’incliner devant le talent de Zocato. C’est un génie car il te raconte une belle histoire souvent éloignée de la corrida mais à la fin, il t’a donné les moments clés à retenir. C’est le top des reseñas mais il est impossible de le copier ou s’en inspirer. Sinon, en Espagne, j’ai été bercé par les voix de Fernando Fernandez Roman sur TVE et Canal + puis de Manolo Molès. En France, on a plein de gens de talent avec Patrick Louis, Christophe Chay, Pierrick Charmasson, Florent Moreau…
On forme une bande de copains entre les photographes et les chroniqueurs où on s’échange les infos et s’entraide sans guerre d’égos. »
 
J’imagine que vous écrivez « à chaud » pour avoir le meilleur ressenti… est ce que des fois, à posteriori tu t’es trouvé trop dur ou au contraire trop complaisant?
« C’est vraiment la grosse difficulté de rendre un papier quelques minutes après le spectacle. Tu ne peux pas échanger tes avis pour te forger une opinion définitive et tu es sous le coup de l’émotion. D’autant que je suis d’un tempérament impulsif et émotif. J’ai conscience que tu peux voir le bon extraordinaire, ou le passable catastrophique.
A Béziers, j’arrive à la rédaction vers 21h et je dois faire un papier pour la région et une page pour la locale seul. C’est une course contre la montre d’autant qu’il faut trouver deux angles différents. Au bout d’une heure, tu reçois les premiers appels car les rotatives attendent !
En effet, le lendemain tu te dis parfois que tu es allé trop dans un sens ou dans l’autre. Par exemple, j’ai été très dur à deux reprises sur deux gestes, que j’ai considéré, déplacés de Juan Bautista à Béziers. Si j’avais écrit le papier le lendemain, je l’aurai évidemment dit mais certainement d’une façon moins agressive. Lui l’a interprété comme un règlement de comptes des Biterrois contre l’Arlésien. Ce n’était pas du tout cela, mais j’aurais dû l’écrire autrement. »
 
On dit souvent de la presse qu’elle est trop bridée à cause de ses relations avec les empresas, notamment avec l’attribution des callejons. Est ce que tu te permets d’écrire librement sur ce que tu vois? Sans peur de représailles?
« Ce que tu dis est certainement vrai car certains professionnels savent mettre la pression sur les critiques avec des non renouvellement de callejon. Personnellement, je suis privilégié en bossant pour Culturo qui est un des trois médias taurins incontournables en Espagne et Midi Libre en France. Mon premier directeur à Midi Libre, Arnaud Boucoumont, m’a beaucoup appris sur ma première feria de Béziers. J’étais très fier de mon premier papier, très précis avec tous les mots techniques comme dans «toros». Il n’était pas aficionado et quand je lui ai rendu, il m’a dit : « Stéphan, demain, plus de 15000 lecteurs vont le lire alors fais en sorte que plus de la moitié le comprenne car là il est fait pour 50 personnes » ! Avant la Feria, il m’avait prévenu, plein de gens vont vouloir t’influencer ou te mettre la pression. Et il a conclu : « sois conscient que les organisateurs ont plus besoin de Midi Libre que le contraire. Alors tranquille !». Enfin, le lendemain de la Feria, je vais le voir catastrophé en lui disant que je me faisais défoncer par les antis et les pro-Margé. Il m’a répondu : « c’est bien. Si les deux te critiquent, c’est que tu es proche de la vérité ». J’ai la chance de pouvoir écrire ce que je pense avec un ton en adéquation avec les lecteurs de Midi Libre. Encore une fois, je n’écris pas pour des passionnés type « Toros ». Mais je suis privilégié car ce média te donne une force et une indépendance que tu n’as pas pour un blog. Nîmes, Béziers ou Arles seraient plus embêtés que Midi Libre si on ne couvrait pas leur feria. »
 
Mêmes question pour les élevages et les toreros. On sait que ce que vous écrivez est scruté par les empresas, les Apoderados… que cela peut avoir des conséquences pour eux… est ce que tu le prends en compte quand tu écris?
« Forcément, ils peuvent essayer la première fois mais ce sont plutôt leurs collaborateurs qui mettent la pression. On peut le dire maintenant qu’il y a prescription, Robert Margé, dont je suis devenu proche de la famille, me faisait le coup au début. Le lendemain des corridas, il m’appelait parfois en me disant « mon poulet, je n’ai pas lu le journal (sachant qu’il le lisait au réveil !), mais tout le monde m’appelle pour me dire que tu as écrit n’importe quoi. Je te le dis pour toi car tu es mon copain ! ». Maintenant, on en rigole. La pression est plus indirecte : c’est un apoderado, un collaborateur de l’empresa qui viennent te dire dans le callejon : « il a été extraordinaire » ou « le toro avait un peligro sordo, les gens l’ont pas vu » . Avec le temps, on ne fait plus attention.
Après on a aussi un cœur et on sait les conséquences de nos écrits sur les personnes qui jouent tout sur une corrida et qui ont dédié toute leur vie pour cela. C’est plus facile de critiquer Miura, Victorino Jandilla ou une grande figura qu’un élevage qui sort une seule corrida ou un jeune torero qui peut tout perdre. On va dire la vérité mais on faire preuve de plus de nuances. Mais ce n’est pas la peur de représailles. Juste de l’humanité car je ne suis pas là pour détruire un professionnel qui dédie toute sa vie à sa passion. Par exemple, imagine que Solalito qui joue une carte énorme pour Pentecôte ne soit pas bien. Je ne vais pas faire trois paragraphes pour énumérer ses défauts. Ce sera plutôt « il n’a pas réussi à s’accoupler avec le toro et il doit être déçu du résultat ».
Après, on est habitué à certains coups de fil et ce n’est pas grave. Avec le temps, quand ils comprennent que tu fais ton boulot et que tu n’es pas là pour être méchant, cela devient plus rare. L’exemple le plus frappant est Simon Casas. Notre relation a commencé par deux prises de bec quand j’ai fait un papier pour critiquer une Feria 100% Domecq, déjà, ou quand il avait eu des propos déplacés sur Miura sur la corrida du Juli. La discussion avait été animée et je lui avais répondu en gros « Monsieur Casas, j’ai beaucoup de respect pour votre travail et votre carrière mais je ne suis pas d’accord et je dois le dire mais ce n’est pas une attaque personnelle ». Depuis, tout se passe parfaitement et l’entente est cordiale. C’est même l’empresa la plus facile avec qui travailler. L’an dernier, aux vendanges, j’ai été critique en amont sur l’absence de Fernando Adrian puis sur la présentation de plusieurs lots. Tous les jours, il me saluait sans m’en parler et 15 jours après, j’avais mon accréditation comme toujours à Madrid. Il y a beaucoup de légendes qui courent sur lui et je t’assure, c’est très facile de travailler avec car il est au-dessus de tout cela maintenant. »
 
Je voudrais aller un peu plus loin dans cette notion « d’intimité » et d’objectivité… on sait que tu es biterrois et fier de l’être… comment est ce que tu gères ça en tant que revistero au regard des relations que tu peux avoir avec Olivier Margé, Sébastien Castella, Parejo voir même Juan Leal pour qui tu as beaucoup d’affection?
« Il faut séparer deux aspects dans le travail. Les magazines qui annoncent les corridas et les reseñas.
Dans une reseña, je t’assure que j’écris ce que je veux à la virgule près sans tenir compte des pressions et Midi Libre me laisse une totale liberté. C’est différent avec les Espagnols qui vivent des publicités des toreros et empresas. Je leur envoie des vocales après chaque toro et parfois, ils oublient les points négatifs que j’évoque et ne marquent que le positif. Souvent, je demande à changer les titres qui sont dithyrambiques ou on s’engueule en leur disant « mais on ne peut pas critiquer un tel ou un tel ? ». Je me rappelle l’an dernier sur une faena de Roca Rey où il y avait des parties critiques. Je leur ai dit « es prohibido criticar a Andres ? ». Et finalement, ils l’ont corrigé. Mais je ne lis pas toujours leur retour pour le faire car, dès que j’ai fini, je cours à Midi Libre pour faire mon papier et c’est le plus important pour moi.
Pour la partie annonce, on est plus dans une démarche de partenariat. L’empresa veut évidemment que les gens viennent aux arènes et Midi Libre veut que cette culture régionale rayonne. Alors, on va plus axer sur les beaux évènements de la féria. Par exemple, si tu as Santiago et Juan Pedro Domecq sur la féria, tu vas plutôt faire un magazine sur le triomphe de Santiago à Séville et ailleurs que sur la période difficile de Juan Pedro. Il faut avoir conscience que l’on est un média généraliste et, en tant qu’aficionado, je veux que ma passion perdure et pour cela il faut que le public vienne aux arènes. Je suis aficionado et chroniqueur, pas journaliste et je l’assume.
Concernant les liens avec des toreros et des ganaderos, j’avoue que c’est le plus compliqué. Après 20 ans d’immersion dans le milieu, il y a forcément des liens qui se créent. Je ne m’en cache pas, j’ai beaucoup d’affection avec la famille Margé et Olivier est un ami proche. Quand il était mayoral, j’allais avec lui nourrir les toros tous les dimanches et on faisait plein de soirées ensemble. Je n’allais pas me fâcher avec lui quand il est devenu empresa. Avec les toreros, je suis devenu très proche de Castella pendant sa retraite alors qu’avant nous n’avions qu’une relation professionnelle cordiale. Idem avec Juan Leal avec qui je vais tous les hivers au campo et qui est une personne que j’apprécie énormément.
Quand on était quatre à écrire sur Nîmes, je demandais à ne pas couvrir les corridas de Margé. Maintenant, c’est impossible car on n’est plus que deux. Je regrette d’ailleurs cette belle équipe que nous formions à Nîmes. Roland Masabiau, le poète avec une belle plume, Fred Prades, un super journaliste qui s’est pris de passion pour les toros, Mathieu Lagouanère qui trouvait toujours des sujets décalés et intéressants, et moi, le drogué des toros mais qui n’a pas leur professionnalisme.
Évidemment, je préfère écrire quand les Margé, Sébastien, Juan et la plupart des Français que je connais triomphent que le contraire. Mais à un moment donné, je dois faire mon job. J’essaie d’être juste. Si on aide un torero, c’est plus en faisant un mag ou un entretien de plus, pas en arrangeant ce qui s’est passé dans une corrida. Cela se verrait, je ne serai plus crédible, les gens ne me croiraient plus et le jour où ils sont bien, les gens ne le croiraient pas.
J’ai parfaitement conscience du risque de ne pas être juste car on a un cœur et systématiquement, quand ces personnes sont au cartel, je vais lire les chroniques de Christophe Chay et Pierrick Charmasson quand je rentre à l’hôtel. Ce sont deux revisteros que je respecte beaucoup et en général on voit les mêmes choses à 95%. Cela me permet de m’assurer que j’ai trouvé le bon équilibre. »
 
Un autre sujet qui me tient à coeur: l’afeitado, régulièrement relevé par les aficionados mais finalement peu dénoncé par la presse. Comment tu te places par rapport à ce sujet sensible?
« Pour te répondre clairement, l’afeitado est intolérable et il doit être sévèrement réprimé quand il est prouvé. C’est le dopage de la corrida et elle n’a plus de sens si le toro n’est pas intègre. Nier l’afeitado sera aussi ridicule que nier le dopage au Tour de France ! Mais le traiter dans un journal n’est pas simple pour deux raisons. D’abord juridique. Si tu dis qu’un toro est afeité et que les vétérinaires de l’UVTF déclarent un toro limpio, tu prends un procès et tu le perds. Or, aucun élevage n’a été condamné en France depuis des lustres. Je pense que l’Équipe a des doutes sur Jonas Vingaard mais tu ne peux pas écrire qu’il est dopé tant qu’il n’a pas subi un contrôle positif. En corrida, un toro apparemment en pointe peut avoir été touché et, a contrario, une corne abîmée ne signifie pas afeitado si l’éleveur n’utilise pas les fundas ou s’il a tapé dans les corrales ou le chiquero. Mais les spécialistes comprennent la reseña. Quand je dis « toro bonito », c’est que j’estime qu’il n’a pas le sérieux de la plaza. Si je dis « commode », c’est que j’ai des doutes.
L’autre problème est plus général et c’est pour cela que seul El Pais a évoqué le sujet. Il faut avoir conscience que nos premiers lecteurs sont les antis et ils se serviraient du papier pour faire interdire la corrida. J’avais envisagé de faire un papier sur le sujet aux Vendanges 2022, mais on a décidé collégialement que ce n’était pas le bon moment à quelques semaines du projet de Loi Caron. Je pense que je le ferai un jour mais il faudra bien le murir et peser chaque mot pour que ce soit pour le bien de l’avenir de la fiesta sans donner du grain à moudre aux antis. Il faut que ce soit un acte pour faire prendre conscience à tous de l’importance vitale du sujet sans se tirer une balle dans le pied.
Après, les torts sont partagés car les toros sont de plus en plus armés avec des trapios toujours plus imposants y compris dans les petites arènes. Le trapio doit être adapté à chaque plaza. J’ai revu les images des Guardiola de 1989 avec Nimeño et cette corrida fantastique sera critiquée aujourd’hui pour sa présentation. Quand tu vois les toros de Madrid en 1980, il ne passerait pas les reconocimientos en 2024 en novillada ! »
 
Autre sujet pour moi capital: la transmission. On pointe souvent du doigt les empresas, les figuras, les palcos et la presse quand on parle de dérives et de laxisme, alors que certains pourraient et/ou devraient être les garants d’une certaine éthique. Personnellement je crois profondément que certains acteurs ont une vraie importance dans la transmission. Comment est ce que tu te positionnes toi par rapport à ce rôle?
« Aujourd’hui, la tauromachie devient un spectacle où il faudrait un succès garanti. Une corrida n’est pas un Barca Real qui donne un grand match 9 fois sur 10. Et c’est normal ! Les politiques, les empresas veulent des triomphes. Le public est moins éduqué et demande des trophées en oubliant des fondamentaux comme l’épée pour les oreilles ou la pique pour les vueltas. Les palcos peuvent avoir des liens avec les municipalités ou les empresas et il est dur de ne pas céder face à des demandes généreuses du public.
La tauromachie est un art et elle n’est pas une histoire de chiffres. On peut garder un grand souvenir d’une corrida avec peu de trophée et oublier le lendemain une autre avec 8 oreilles. C’est dommage en termes de pédagogie. Les clubs taurins ont un rôle central pour éduquer comme la presse et les palcos pour ne pas céder au triomphalisme ambiant. Le succès d’une féria ne se résume pas au nombre de vueltas ou de « puerta grande ». Personnellement, je ne vais pas lancer des polémiques systématiques mais je vais écrire « deux oreilles généreuses malgré une épée caida ou vuelta malgré un tercio de piques timide ». »
 
Est ce que tu peux nous nommer certains personnalités taurines (empresas, toreros , ganadérias) pour lesquels tu as une affection particulière? Pourquoi? Et une anecdote sur eux.
« Comme je te l’ai dit, Olivier Margé est un ami proche et j’ai des liens d’amitiés chez les toreros avec Sébastien Castella, Juan Leal et Marc Serrano. Je connais la plupart des Français et les relations sont très bonnes avec tous. Évidemment avec plus de proximité avec les Biterrois comme Tomas Cerqueira avec qui on passe des heures à discuter car on est deux malades des toros et qui m’apprend plein de choses ou Cayetano Ortiz qui fait quasiment partie de la famille car il a vécu deux ans chez mon père à Séville. Je lui ai d’ailleurs promis que lundi prochain je lui mettrai une branlée avec mon fils au padel avec Carlos Olsina comme je l’avais fait au squash. Je te dirai si on a gagné 😊.
Avec les Espagnols, j’ai moins de relation à l’exception d’Escribano avec qui on communique régulièrement et je vais voir en tienta quand je suis à Séville. Chez les empresas, les relations sont excellentes avec Simon Casas. Comment ne pas être admiratif de son parcours pour devenir le plus grand empresario du monde avec Matilla ? On peut l’apprécier ou pas, mais trois personnes ont marqué l’histoire de la tauromachie en France : Nimeño, Castella et Casas.
Chez les éleveurs, je connais plus les Espagnols comme Victorino, Miura, Valdefresno, Flor de Jara, Aurelio Hernando, que les Français où je ne connais que Margé, Virgen Maria de Jean-Marie Raymond, Couturier et Do Cuillé, une grande dame. Il faut que je sois plus présent en France avec les éleveurs car il existe de belles histoires à raconter sur eux.
 
Des anecdotes ?
Les discussions personnelles avec Sébastien resteront entre nous. Mais j’ai aimé une réponse de lui. Une fois, je lui ai demandé si cela ne donnait pas le vertige d’être la première grande figura française de la tauromachie. Sa réponse : « Stéphan, tu dis des conneries, la première figura française c’est Nimeño». Tu comprendras que sa réponse m’a beaucoup touché. J’aime sa franchise car les autres sont politiquement corrects. Lui me dit souvent « pfou, Stéphan, ça se voit que tu ne t’es pas mis devant les toros, tu ne comprends rien !».
Avec Juan, je retiens sa gentillesse incroyable en étant le premier à m’avoir téléphoné après un grave accident à Séville ou pour me dépanner avec un décodeur pour voir les corridas ou cette heure passée après son coup de corne à Madrid à la Clinique. Avec son allure de gendre idéal, c’est un mec vraiment bien qui se transforme en lion dans l’arène tellement il est ambitieux. J’espère, et je suis convaincu, qu’il peut devenir un torero important. Aujourd’hui, on ne voit que son courage car il doit gagner chaque jour ses contrats en coupant des oreilles. Mais, sur des séries ou au campo, je l’ai vu faire des choses dont peu sont capables.
Au campo, je me rappelle de deux frayeurs où j’ai vu ma dernière heure arriver au milieu de bagarres de toros chez Rehuelga et La Quinta.
Une dernière, je pense le test de Victorino Martin. Je ne faisais que l’appeler pour faire mon premier reportage chez lui. Un soir, j’étais à Seville et il m’appelle à 22h pour me dire : « venez demain à Las Tiesas à 8h30 avec les vaqueros ». Je lui dis « avec plaisir ». On dinait avec mon père et je dis à mon père : « papa j’ai une bonne nouvelle et une mauvaise. La bonne, on va demain chez Victorino, la mauvaise, on rentre à l’hôtel car on doit se lever à 4h du matin » ! Quand on a fini de nourrir les toros vers 11h30, il arrive à la finca, me salue et nous invite l’après-midi pour une tienta à l’autre finca à Monteviejo et le soir, on dine avec Victorino père et fils. Des moments incroyables. Un monsieur avec beaucoup de classe qui te laisse la porte de sa finca ouverte et qui m’a invité à déjeuner à trois reprises. Une autre fois, je le vois un soir à la buvette à Madrid et le lendemain, il y avait du rejon et je ne suis pas grand fan ! J’étais avec Florent Moreau et mon meilleur ami et je lui demande si on peut aller nourrir les toros à Las Tiesas le lendemain. On y va et on se joint à un groupe qui avait acheté une journée au campo. A la fin du tour, je remercie sa fille car il était absent. Et elle me dit en français avec son accent : « Estefan, tou es l’ami de papa, tou mange avec nous » ! Depuis, mes copains me chambrent tout le temps.
Le privilège, ce n’est pas d’avoir des callejon, mais de vivre tous ces moments uniques dont je n’aurai jamais rêvé. D’ailleurs, sur le sujet des callejon, je suis agacé quand on est critiqué avec les photographes par certains qui aimeraient certainement notre place. La plupart le font bénévolement ou pour une somme symbolique et bossent vraiment. Pendant que les autres font l’apéro et la fête entre deux corridas et le soir, ils mangent un sandwich puis rentrent à l’hôtel pour envoyer leurs photos aux médias. Une journée de Feria à Nîmes ou Béziers, c’est 9h arrivée à la rédaction pour caler les pages, 11h arènes, de 14 à 16h, tu fais tes papiers, 18h corrida et fin à 23h. Pour la Feria de Béziers, j’ai 4 pages par jour à faire. C’est 15 jours de travail en amont 10h par jour en plus de mon vrai boulot ou sur mes congés. Je ne me plains pas, c’est un privilège incroyable. Mais lire les commentaires sur les réseaux sociaux, cela m’agaçait. Maintenant, cela me fait rire. »@@@@
 
Propos recueillis par El Nene

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