CHASSE TRADITIONNELLE
CHASSE
TRADITIONNELLE
Comme
souvent
l'été, on avait décidé de faire le tour des cultures en vélo.
C'était une boucle pas excessivement longue, qui traversait des
bois, une rivière, et bien entendu des champs de maïs, d'où son
nom.
Elle
avait aussi l'avantage de passer près de la palombière de mon père,
et ça me donnerait l'occasion d'y jeter un œil.
Comme
toujours
avec Cathy, nous avons démarré d'un même coup de pédale en
bavardant, elle sur le vélo rouge de ma mère, et moi sur le vert
décoré de plumes de faisans au guidon, le mien. Un bon rouleur sans
changement de vitesse offert pour mon entrée en 6ème et qui, s'il
m'avait accompagnée
tout au long de ma scolarité, était désormais vélo de campagne,
connaissant sur le bout des roues tous les chemins, les raccourcis,
les passages à gué et bien entendu les palombières, les coins à
girolles et les bois à cèpes.
Avec
Cathy nous nous racontions nos vies, parce que même si nous étions
amies depuis le CE2, nous passions de longs mois sans nous donner de
nouvelles, mais quand on se revoyait, on remettait le calendrier à
jour. Nouvelles rencontres, nouveaux amours, histoires de garçons.
On faisait aussi le tour des amis communs, de la famille.
Tout
en roulant je lui donnais
le nom des oiseaux qui s'envolaient sur notre passage, et elle
s'étonnait de voir que je différenciais le geai de la tourterelle
turque, alors que vraiment, ils ne sont pas de la même couleur et ne
volent pas pareil !
En
arrivant près de la palombière elle m'a demandé si on y allait,
tout en sachant que oui. À l'époque personne n'aurait vandalisé,
cassé ou volé dans une palombière, mais quand on passait pas trop
loin, on s'y rendait tout de même, tout comme après un fort coup de
vent, pour voir si tout était en place.
On
a ouvert le garage à voiture pour y déposer nos vélos, et on a
suivi le couloir vers la cabane. J'y suis entrée la première et
quelque chose m'a surpris, mais je ne savais pas quoi. Tout avait
l'air en place. J'ai ouvert le dôme pour avoir plus de lumière
qu'avec les fenêtres dissimulées derrière les fougères, tandis
que Cathy me rejoignait pour qu'on regarde ensemble dehors. Le dôme
étant situé en hauteur par rapport à la cabane, la vue y est
toujours meilleure.
Assises
sur la banquette, les yeux plantés dans le bleu, les pins se
balançant dans le ciel, on était bien. Il me tardait le mois
d'octobre, où je pourrais venir dès
l'aube
avec
mon père pour y passer des journées à contempler le ciel en
écoutant la radio, en attendant les palombes.
Cathy
m'a dit: "Ta
mère est-elle venue nettoyer ?"
C'était
donc ça qui n'était pas normal :
en plein mois de juillet la cabane aurait dû être plus sale. Or si
le sol n'était pas balayé,
certainement
depuis
novembre dernier, la nappe n'était pas poussiéreuse, pas plus que
la bouilloire, la poêle, ou les quelques ustensiles près de la
gazinière que j’embrassais du regard depuis le dôme.
J'ai
regardé Cathy, et je lui ai dit: "tu connais ma mère, elle a
toujours un chiffon à la main, elle a dû
passer récemment."
Mais
je savais que le grand nettoyage de palombière ne se faisait que fin
septembre, après que mon père ait
refait les couloirs, examiné les pins, remonté les appeaux. Il y
avait effectivement quelque chose d'étrange.
Nous
sommes passées dans la cabane
d'à côté. Normalement une palombière n'est constituée que d'un
seul poste et de couloirs plus ou moins longs, mais mon père et son
copain de chasse voulaient une "chambre" indépendante. Il
faut savoir que dans les Landes, les palombières sont des lieux de
vacances. Donc le copain voulait pouvoir faire la sieste à loisir.
La
cabane d'à côté était donc constituée d'un dôme elle aussi pour
pouvoir regarder si les vols de palombes venaient, et
comportait
une banquette aussi confortable qu'un lit, ainsi qu’un
poêle à bois.
Une
chose m'a frappé en entrant
:
l'odeur. Cathy ma demandé ce qui n'allait pas, ce à quoi j'ai
répondu "rien rien". Elle a fait la moue devant mon air
inquiet. Ce n'est pas bien de mentir à sa meilleure amie, qui vous
connaît mieux que quiconque.
Je
lui ai murmuré: "je crois que quelqu'un est venu récemment."
Cathy, toujours l'esprit pratique, à dit qu'il n'y avait pas de
trace de pneus sur le chemin de sable, et comme il y avait eu un gros
orage la nuit précédente, nous devions être seules ici. Donc pas
la peine de chuchoter. J'ai acquiescé. Tout en pensant qu'il y avait
peut être quelqu'un quand même, quelqu'un qui aurait dormi là.
On
a repris les vélos, la piste sablonneuse, puis la route communale
goudronnée, avec sa bande d'herbe centrale, tellement ça fait
longtemps que le goudron à été coulé.
L'été
les champs de maïs sont arrosés par d'immenses machines qui
envoient leurs jets parfois jusque sur la route. Ça m'est arrivé
d'y laver la voiture, la frottant avec une éponge en attendant que
le jet d'eau fasse son tour au dessus des épis.
Mais là, en vélo, c'était une autre histoire. Il ne faisait pas suffisamment chaud pour que nous y passions dessous, transformant la balade en concours de tee-shirts mouillés que le soleil aurait immédiatement séché. Nous avons donc attendu tranquillement le moment pour passer au sec.
Mais là, en vélo, c'était une autre histoire. Il ne faisait pas suffisamment chaud pour que nous y passions dessous, transformant la balade en concours de tee-shirts mouillés que le soleil aurait immédiatement séché. Nous avons donc attendu tranquillement le moment pour passer au sec.
De
retour à la maison nous avons lu des bandes dessinées sous le
pommier, en attendant la soirée où des garçons sont venus en
visite. C'est marrant comme Cathy à toujours eu ce don de les
attirer.
Le
lendemain elle est partie visiter sa famille, et j'ai repensé à la
palombière. Le seau qui nous sert,
l'automne venue,
à ramener de l'eau de la source était propre, alors que sans être
utilisé depuis le mois de novembre il aurait dû contenir des des
débris divers.
Il était posé aux pieds des marches menant au dôme, je le revoyais
clairement dans ma mémoire, le fond brillait. Pas de sable, pas
d’aiguille de pin.
Je
décidais d'y retourner, mais pas par le chemin habituel. Il y avait
bien une autre piste pour rejoindre la source, mais beaucoup plus
longue. Pas d'importance, c'était les vacances. Je mis une lampe
électrique dans mon sac, une gourde pleine d'eau, un paquet de
biscuits. Le tout attaché sur le porte-bagage de mon inséparable
vélo vert à plumes. J'ai roulé comme d'habitude, puis j'ai tourné
à la palombière du maire, où j'ai laissé le vélo un peu plus
loin, appuyé à un grand pin qui avait une branche qui tournait
d’une façon caractéristique.
J'ai
cheminé à pieds vers la source au milieu des fougères odorantes
plus grandes que moi, des herbes jaunes, puis en terrain humide.
Heureusement j'avais mis mes bottes en caoutchouc comme souvent, même
en été.
Arrivée
à la source j'ai inspecté les abords. Il y avait des traces
d'animaux, mais de pas humains aussi. La source quant à elle avait
toujours cette odeur œufs pourris : c'était
une source d'eau sulfureuse. Mais elle était potable, si on la
laissait suffisamment s'aérer, et qu'on n'était pas trop difficile.
Depuis
là il me restait un bon moment à marcher vers la palombière, mais
personne ne surveillerait le chemin, j'en étais bien sûre. Près
d'une souche, j'ai remarqué qu'un collet était posé, ce qui n'a
fait que renforcer ma conviction que la palombière était habitée.
Personne ne poserait de collet si loin de tout. Et s'il y avait des
braconniers, ils sévissaient maintenant plutôt en 4x4 qu'avec des
outils aussi archaïques.
Mais
alors qui pouvait bien se trouver dans ma palombière ? Bon, ce
n'est pas que j'avais peur, je suis plutôt pas trouillarde, et puis
j'étais chez moi, presque. J'ai entrouvert la porte d'un couloir
pour me glisser dedans. Il
était
sombre et
je
pouvais avancer en silence sur la terre noire. Je me dirigeais sans
hésitation vers les deux cabanes.
En
arrivant au coin de la première, comme il en sortait, nous avons
failli nous rentrer dedans, aussi surpris l'un que l'autre. Mais pas
un cri ni dans sa bouche ni dans la mienne. Juste deux regards
farouches qui s'affrontent. Moi parce que j'étais sur mon
territoire, et lui parce qu'il avait quelque chose à défendre.
Quelques
secondes de stupeur muette, où il m'a semblé que je l'avais déjà
croisé.
C'est
lui qui a parlé le premier
:
« Euskaraz? »
Ce
à quoi j'ai répondu machinalement :
« Ez, euskualduna ez naiz. »
Il
a rigolé :
« T'as
pas trop perdu quand même. »
Je
ne suis pas physionomiste, et il y avait longtemps que je ne l'avais
vu, mais j'ai dit :
"Patxi ?" et quand il a souri,
là je l'ai vraiment reconnu.
Nous
sommes entrés
dans la cabane. Il était content que j'ai apporté des biscuits et
de l'eau du robinet.
Oui,
il vivait là depuis la fin de la chasse, il était trop content de
voir enfin quelqu'un, même s'il se cachait. C'est lui qui avait eu
l'idée de venir dans les Landes, il surveillait. Là il s'est
arrêté,
comme s'il en avait trop dit, et m'a demandé ce que je devenais.
Mais
mon sixième sens était en alerte. Tu surveilles quoi ?
Après avoir tapé en touche pour éviter de répondre, comme
j'insistais et que je suis du genre à revenir inlassablement à la
charge, il a fini par dire " Il
vaut mieux que tu ne le saches pas"
Nous
avons alors évoqué le passé, la fac, les nuits du Petit Bayonne et
ses bars sombres, les discussions entre la Nive et l'Adour à refaire
un monde comme le font les jeunes depuis toujours.
Et
tandis qu'il parlait me revenait ce qu'on disait de lui à l'époque.
Que ses engagements allaient du côté des nationalistes, et qu'il
finirait récupéré par ETA.
Je
lui ai carrément posé la question. Il a pris sa tête entre ses
mains. Oui, mais surtout ne pas en parler. Surtout je ne l'avais pas
vu, je ne savais rien. Si c'était possible il en sortirait
maintenant, parce qu'il était allé trop loin et avait vu que la
violence n'amènerait à rien de bon. Je lui ai demandé pourquoi il
ne partait pas en Amérique du Sud :
impossible, ils ne le laisseraient pas faire, ils le retrouveraient.
Avant
de partir je lui ai dit que je reviendrais bientôt,
après
tout c'était ma palombière, il n'y avait pas de raison que je n'y
vienne pas.
Il
m'a encore recommandé de ne rien dire à personne de
sa présence ici.
Avec
quelques documents sortis de mon imprimante, agrémentés de quelques
coups de tampons (merci tonton pour ta collection), j'ai réalisé
une demande de passeport biométrique à la mairie de Mont de Marsan.
Je l'ai fait moi même car je travaille là bas.
J'ai profité des congés pour me balader dans les services, me renseigner sur la façon de faire car je ne suis pas à l’État Civil, et vraiment ils étaient tellement contents de m'expliquer que j'ai presque eu honte d'utiliser leurs compétences.
J'ai profité des congés pour me balader dans les services, me renseigner sur la façon de faire car je ne suis pas à l’État Civil, et vraiment ils étaient tellement contents de m'expliquer que j'ai presque eu honte d'utiliser leurs compétences.
Le
jour où le passeport est revenu, tout beau avec cette photo prise
dans la cabane devant un poster mis à l'envers afin d'obtenir un
fond blanc, j'ai pensé que Patxi allait pouvoir partir, et
construire une vie calme, loin de la violence. J'avais repris le
boulot, j'ai donc embarqué le document pendant la pause repas de mes
collègues, et j'ai attendu impatiemment le soir.
Je
suis allée directement à la palombière en voiture, chose que je ne
faisais jamais en dehors des périodes de chasse. Patxi s'était
caché mais il est arrivé en m'entendant siffler "Hegoak"
une chanson dont il m'avait expliqué le sens.
Il
avait l'air encore plus soucieux que d'habitude. Il m'a dit qu'il
partirait bientôt , la mission se finissait. Mais quelle mission?
Mystère, impossible d'en parler, comme toujours. Il m'a dit de ne
pas m'inquiéter, pas de nouvelle, bonne nouvelle.
Je
suis rentrée chez moi.
Le surlendemain j'ai appris aux infos que deux policiers avaient été abattus à bout portant et que leur agresseur était en fuite.
Le surlendemain j'ai appris aux infos que deux policiers avaient été abattus à bout portant et que leur agresseur était en fuite.
À
la palombière il n'y avait plus personne. Juste "adieu"
tracé au doigt sur le sable du garage, juste à l'endroit où
j'appuyais mon vélo. Il était donc parti.
L'enquête
n'a rien donné, on n'a jamais trouvé le coupable. J'espère qu'il a
fuit le pays, l'ETA et tous ses crimes.
Je
n'ai jamais eu de nouvelle. Bonne nouvelle.
isabelle Laffourcade
Excellent! Bravo.
RépondreSupprimerMerci Panda! :-*
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