Quelques modestes réflexions sur une bonne Féria Vicoise

photos de Matthieu Saubion et Nicolas Couffignal

Il est un nouveau dicton qui courait sur les lèvres des aficionados présents à Vic : « Féria pluvieuse, Féria heureuse ». Il est vrai que le dress-code dans la cité gersoise était poncho et parapluie.
Contrairement au vin pour lequel vendanger sous les ondées ne produit pas un grand cru, cette édition 2017 est à classer parmi les bons millésimes.
La fréquentation des arènes, compte tenu de la météo, est plus qu’honorable. Il y avait deux fois plus de monde, lundi à Vic que sur les gradins de l’amphithéâtre nîmois.
C’est bien la preuve que la féria gersoise est une féria d’aficionados et probablement qu’elle a une forte implantation locale avec un public qui n’a pas besoin de quitter la ville de bonne heure le dernier jour.
Autre caractéristique vicoise, la présentation des toros a été une fois de plus « irréprochable » avec du trapio et du bois sur la tête. Au plan moral, il n’y a pas eu de mansos qui mettent la panique en piste, mais un ensemble de bichos sérieux qui se sont investis dans les trois tiers, et qui nous ont permis de vivre des corridas entretenues.

Aucun toro n’a fléchi, peu ont ouvert la bouche au troisième tiers malgré une moyenne de plus de trois piques par animal.
Un jeune aficionado espagnol assis quelques rangs devant moi, n’arrêtait pas dire qu’il voulait les mêmes tercios de piques Outre-Pyrénées.  Certes, il y a eu chez certains piqueros un peu trop de scénarisation, une supposée maladresse chez d’autres au moment de poser les palos. Mais globalement nous avons pu mesurer la bravoure (ou l’absence de …) de chacun des bravos sortis en piste  tout en préservant leurs possibilités au troisième tiers ce qui permet d’évaluer en toute connaissance de cause les toreros qui leur étaient opposés. Les piqueros ont été applaudis à la sortie en piste parfois de façon exagérée mais souvent parce qu’ils le méritaient.
La déception ganadera est venue du lot de Palha. Très hétérogènes, voire hétéroclites de présentation, ils ont constitué un lot de toros ordinaires loin de ce que l’on attend à Vic et du souvenir que j’ai gardé des toros portugais « d’antan ».
Autre frustration, mais parce que la novillada a été arrêtée après le  second et que nous n’avons pas pu voir le lot de Raso de Portillo dans sa totalité. Après un premier brave et noble  mais qui a baissé de ton, est entré en piste un utrero superbe de présentation, excellent dans les trois tiers. Dommage qu’il soit sorti sous la pluie, dans un ruedo quasi impraticable et face à un Miguel Pacheco, très courageux, appliqué mais limité. Mais y a-t-il aujourd’hui un novillero capable (et qui accepte)  de se mettre devant et d’être au niveau d’un tel « señor toro ».

Très intéressant le lot de Dolorès Aguirre, avec des toros sérieux au cheval, nobles et qui offraient des possibilités. Les « Aguirristes » puristes étaient déçus car pour eux le lot manquait de piquant. Peut-être, mais ils ont quand même été très exigeants face à des toreros qui à part Octavio Chacon n’ont pas été en capacité d’exploiter leurs possibilités. On retiendra du lot l’excellent second qui a fait la vuelta, le cinquième très bon à droite et le troisième, le meilleur du lot qui en vrai Atanasio est allé à mas.

Très intéressant aussi le lot d’Alcurrucen. Très bien présenté, dans le type de l’encaste, ils se sont comportés en vrais Nuñez. Froids à leur entrée en piste, s’allumant et se défendant au cheval, ils sont mansos con casta et obligent les toreros à une lidia rigoureuse et appliquée. Ce type de toros donne toujours des peleas intéressantes quand ils rencontrent des toreros qui prennent des risques et adaptent la lidia à leur comportement.  Cela a été le cas avec Juan Bautista et Manolo Vanegas, ce lundi à Vic d’où une corrida entretenue et qui a très bien conclu le cycle vicois.

On va à Vic pour voir des toros et en particulier le matin de la Concours qui a fait la meilleure entrée du weekend.
On retiendra de cette corrida la présentation irréprochable du bétail.  Le prix a été accordé au toro de Los Maños sorti en sixième position. Ce bicho a été excellent aux piques, partant de loin, poussant, mettant de l’émotion dans le ruedo. Malheureusement il est tombé sur un Michelito  complètement incapable de lidier. Le toro n’a pas été vu à la muleta et il est vraiment difficile de savoir s’il était digne de remporter une corrida concours. 



Il s’agit là d’un vainqueur par supposition ou hypothèse.  Moins spectaculaire au premier tiers que le Santa Coloma, le toro de Miura pouvait prétendre au titre par sa bravoure, sa présence et son  sérieux au troisième tiers.  Il a fini par mettre en difficulté un Lopez Chaves pour volontaire et expérimenté.

 Pour les autres, pas grand-chose à dire, si ce n’est que le Valverde est sorti décasté, le Cuadri sans race  et ce n’est pas un torero inexpérimenté comme Michelito qui pouvait  corriger ses défauts. L’Oliveira Irmaos a eu un  premier tiers de manso, intéressant parce que Lopez Chaves s’est employé à le placer dans des conditions où il chargeait le cheval, puis la mansedumbre du portugais a pris le dessus et il n’y avait rien à en tirer.
Le Valdellan, dans une corrida normale aurait tiré son épingle du jeu. Mais ce type de toro bravito, noble sans grande personnalité ne peut soutenir la comparaison avec des toros encastés comme le Miura et le Los Maños.  

Chez les toreros, le triomphateur est Emilio de Justo. 

Face aux toros de Palha, il a construit deux faenas à la fois sincères et élégantes.  Comme à Aignan, il a conclu sa première faena d’une estocade « d’anthologie ». Ce torero est en train de confirmer les espoirs mis en lui par l’Aficion française après les corridas d’Orthez et Mont de Marsan en 2016 .


Autre confirmation, celle de la maturité torera atteinte par Juan Bautista. A lendemain de son solo à Nîmes, l’arlésien, face à la sérieuse corrida d’Alcurrucen, a réalisé une première faena très technique et, c’est nouveau chez lui, qui transmettait de l’émotion. Il a perdu la seconde oreille à son premier en pinchant une estocade à recibir.

La révélation de cette féria a été Manolo Vanegas. Pour la première corrida de sa carrière, face à deux mansos con casta des frères Lozano, il a fait montre à la fois de courage et d’une maîtrise technique. Le garçon a beaucoup de recours acquis en acceptant de toréer comme novillero toutes les encastes. Certains apoderados qui surprotègent leurs poulains, devraient en prendre de la graine.

Octavio Chacon  a séduit par son courage et son efficacité face aux Dolorès Aguirre. Il mérite, par son sens de la lidia,  de s’imposer comme l’élément de base des corridas sérieuses.

Autre lidiador, Domingo Lopez Chaves a été le chef de lidia idéal de la corrida concours.
Alberto Lamelas a mal conclu une faena intéressante face à un bon Dolorès. Face au second, il avait déjà la tête à Madrid;
On retiendra de Curro  Diaz, une très belle estocade et quelques détails à son premier Alcurrucen. Pour le reste, il a assuré le minimum syndical.
Pour les autres, ils sont passés sans peine, ni gloire si ce n’est celle d’avoir accepté de venir toréer les toros de Vic. Et cela est plus qu’honorable et respectable.
Le cas Michelito alimentera les conversations au coin du feu dans les « chaumières » vicoises cet hiver. Les organisateurs ont fait un cadeau empoisonné à l’ainé des Lagravère en l’intégrant au cartel de la Concours. Il a gâché le toro de Los Maños et s’est grillé auprès des autres organisateurs du Sud-Ouest. L’amitié et la  solidarité entre amis de plus de trente ans sont une chose respectable et admirable, mais espérons que ces deux vertus n’aient pas cassé le rêve d’un gamin de vingt ans.

Comme à Madrid  et à Nîmes, les présidences des corridas, en particulier celle de la novillada et de la Concours ont été contestées. Le public leur a reproché de ne pas avoir accordé l’oreille qu’il sollicitait pour Pacheco et Lopez Chaves.

.   La contestation « footballistique » et systématique de l’autorité gagne malheureusement les gradins des arènes. De plus dans les deux cas, les pétitions n’étaient pas majoritaires au sens taurin du terme. Les vrais coupables de la situation sont ces présidents qui accordent, souvent sous la pression des Peñas des toreros, des oreilles parce que dix personnes braillent sur les tendidos.  Vic est une arène de première catégorie et se doit d’appliquer le règlement du tercio de piques jusqu’à la remise des trophées. La première oreille est celle du public. Mais elle se réclame en agitant un mouchoir blanc comme l’a rappellé aux vicois, avec humour et pédagogie,  Joaquin Camacho, le président de la corrida de Lundi.

Autre coupable de cet état  de fait, El Juli qui en truquant toutes ses estocades a fait qu’aujourd’hui au lieu de la position de l’épée, et la sincérité de l’engagement, ce qui compte c’est la vitesse avec laquelle le toro tombe.  On récompense systématiquement des bajonazos rapides d’effet. L’estocade de Lopez Chaves était  trop basse et dans une arène comme Vic devait le priver en toute logique d’un trophée.  Le vrai problème n’est pas que le président ait refusé l’oreille mais que le public l’ait demandé.

Pour celle refusée à Pacheco, samedi, je l’aurai accordée  compte tenu du contexte, qualité du toro et état de la piste. Le torero a été en dessous de l’excellent novillo de Raso de Portillo, mais dans l’esprit cela n’aurait choqué personne. Mais de là à tirer boulets rouges sur le palco,  non. On se doit de respecter, et d’admettre que l’erreur est humaine, certains présidents veulent faire leur travail avec sérieux et parfois se trompent. Il est plus facile, et plus démagogique, de céder aux demandes des toreros d’abréger les deux premiers tercios, des Peñas et de certains apoderados d’accorder des trophées, que de prendre des décisions et d’appliquer le règlement, en son âme et conscience et avec le risque d’erreurs que cela comprend. Demandez à ceux qui tiennent le sifflet sur les terrains de foot, rugby et autres, ce qu’ils en pensent.
Certains ont vu dans le refus de l’oreille, samedi matin, la raison du refus des cuadrillas de continuer la novillada. Je ne partage pas ce point de vue. Les professionnels ont voulu  protéger l’intégrité physique des toreros et monosabios en raison de l’état du ruedo. Et surtout, compte tenu de sa prestation au premier novillo et de la caste des Raso de Portillo, la cuadrilla de Palacios a voulu lui éviter le risque de prendre trois avis à son second.
En tout cas rien n’excusera et justifiera, les braillements qui ont couvert les annonces faites au micro avant la sortie de chaque toro de la Concours. Une arène n’est ni un stade de foot, ni un défouloir pour les personnes ayant un problème psychologique avec l’Autorité.

C’est avec le retour du Soleil, que s’est achevé une bonne édition 2017 de la Féria Vicoise. A l’an que ven


Thierry Reboul

Commentaires

  1. Reseña complète et non partisane. Un régal comme d'habitude, de te lire....surtout quand on n'a pas pu y aller. Bien sur d'accord avec ton analyse sur les effets de foule qui s'en prennent à la présidence en se trompant d'adversaire. Aller à la corrida sans mouchoirs verts, blanc et bleu (dans l'ordre d'importance), c'est comme aller passer le bac de mathématiques sans sa calculette, sans crayon, et sans ses lunettes. Denis G.

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