LA PETITE DANSEUSE
Jerez, 1988.
Mercedes
a huit ans et veut devenir bailaora depuis toujours. Depuis ses deux
ans, ou bien trois. Depuis qu’elle se souvient avoir vu danser des
tissus aux couleurs chatoyantes devant ses yeux, dans les cliquetis des
castagnettes et le bruit étouffé des palmas. Elle fréquente assidûment la
Peña flamenca qui donne des cours, et elle se demande si le niveau sera
suffisant pour rejoindre une école plus prestigieuse, ici ou à Séville.
Elle espère aussi qu’elle pourra sortir du lot, qu’on la remarquera.
Ce
jour là, dans la pièce qui sert à la fois d’accueil et de salle d’expo,
elle a vu un étranger, un photographe. Peu passent ici. Elle aimerait
bien qu’il la prenne en photo. Surmontant son appréhension, elle passe
la porte et le salue d’un « holà » . Puis lui tournant le dos, elle se
met à danser face au mur, où sont accrochés les portraits des maîtres du
flamenco, chanteurs et guitaristes. Elle est tellement concentrée
qu’elle ne réalise pas qu’elle compte les pas à voix haute. Puis sans un
regard pour le photographe, elle repart à son cours. Elle sourit, car
elle a entendu le déclic de l’appareil photo.
Mont de Marsan, 2019.
Pour
préparer le festival Arte Flamenco de la ville, le directeur de la
communication choisi une photo dans un livre de Michel Dieuzaide. Il lui
semble qu’elle parle bien des valeurs que l’on retrouve dans cette
manifestation : les anciens et les jeunes, la continuité, la
transmission. C'est une image en noir et blanc, réalisée trente et un ans auparavant, alors que son auteur était en voyage en Andalousie pour photographier les gitans et les lieux du flamenco.
Le
jour de l’inauguration du festival, la bailaora Mercedes Ruiz arrive à
Mont de Marsan pour son spectacle du lendemain. A l’hôtel son regard
croise l’image d’une fillette à la tresse , qui a un bras levé et un
autre dans le dos. Elle est éberluée. « Mais c’est moi enfant » s’écrie
t’elle.
Michel Dieuzaide est là lui aussi, trente et un an après la photo, il a retrouvé la gamine.
« Holà ».
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