DÉCÈS de CHUS LAMPREAVE


J'écris ces lignes et ma plume glisse sans se faire à l'idée que je ne travaillerai plus avec Chus Lampreave, ni que je la reverrai.
Avant que je ne débute, Chus m'avais fasciné dans deux films de Marco Ferreri : « le petit appartement » et « le fauteuil roulant », dans « ma chérie » de Armiñan et « le fusil national » de Berlanga. Je rêvais de travailler avec elle si j'arrivais un jour à réaliser un film. Je l'ai appelé pour Pepi, Luci, Bom... et très gentiment m'a dit qu'elle ne se voyait pas dans le rôle.
Je l'ai rappelé deux ans après pour « Labyrinthe des passions », et malgré sa réponse négative, je lui ai demandé d'interpréter une des sœurs de « Dans les ténèbres ». Cette fois fut une vraie rencontre.

Devant mon insistance et la chimie qui s'est immédiatement produite entre nous, Chus accepta, après m'avoir expliqué qu'elle n'était pas actrice et préférait un rôle court. Dans le scénario le sien n'était pas bien long, mais il s'est agrandit au moment où Chus est entré dans le personnage. La moitié des scènes étaient improvisées au dernier moment, je n'ai pas senti autant de réciprocité avec un acteur qu'avec elle, ni ne me suis autant amusé. 

Dès le premier jour nous avons senti que nous appartenions à la même famille, Chus me faisait sentir capable de tout, elle avait la capacité de convertir n'importe quelle extravagance que j'imaginais en quelque chose de naturel, divertissant, sensible, pur. Elle débordait d'humanité et d'innocence.



C'était l'actrice qui a le mieux interprété les personnages inspirés de ma mère, et elle appartenait aux très grands acteurs, ceux là même sans lequel le cinéma espagnol n'existerait pas.



Pedro Almodovar



On dit que Chus Lampreave est morte. Utopie. Ne peut mourir quelqu'un qui vit dans la moëlle sentimentale de toutes les générations passées et futures. Elle est partie, disent-ils, tranquille dans sa maison d'Almeria. Sans faire de bruit. Silencieuse comme elle entrait et sortait de scéne. Sur la pointe des pieds, comme quittant ses napperons de dentelles pour hisser son œil jusqu'au judas de la porte. Comme si elle n'aimait pas ça.
Elle va laisser un souvenir impérissable dans les rétines des spectateurs. Peu importe qu'elle n'ait qu'une phrase, une scène, un passage, en un instant dans une pub pour un produit dégraissant de cuisine, la Lampreave arrivait, voyait et vainquait.
Elle laissait une trace. Elle congelait le temps. Elle se gravait dans le cerveau. Qui la voyait s'en souvenait. Ses yeux comme des plateaux, son petit corps de piment, cette voix sentencieuse, ce tintement de déjà vu, cette aura de modernité hors de l'espace et du temps, qui ne s'achète ni se vend, chez aucun styliste vedette.



Lampreave était une comique de celles qui font rire, pleurer, réfléchir, de celle qui donnent envie de faire un travail respectable.
Un clown dans le meilleur sens du mot, du niveau de la grande Gracita Morales. De Marta Fernandez Muro, sans aller plus loin.
De ses seconds rôles qui mangent l'écran, dans lequel le ciné espagnol affiche tant de belles plantes sans âme. Des filles si fines à l'intérieur, des canons de beauté impérieuse qui les font grandes sur la pellicule, mais dans n'importe quel film elles sont petites. Ces nanas qui saturent l'écran à force de talent, grâce et watts par centimètres carrés de peau : tu faisais sortir la Lampreave d'un coin, son visage s'illuminait et éteignait tout le reste.


Il y a celui qui se souvient d'elle comme la petite grand-mère de la pub des charcuteries Campofrio, réalisé par Iciar Bollain. Ou comme la belle-mère vicieuse de la pub du nettoyeur KH-7, fait par Jose Antonio Bayona. Les nouveaux directeurs sont assez jeunes, mais pas idiots. 

Infroissable pour tous ceux qui l'ont vu dans le rôle de la concierge témoin de Jéhova dans « Femmes au bord de la crise de nerfs » de Pedro Almodovar. Cette anthropologue, pardon, cette cancanière, de l'université de la vie à laquelle nul n'est étranger. Cette volontaire sociale qui entend, voit et jacasse pour le bénéfice de tout le voisinage.
Que serions nous, journalistes, politiques, enquêteurs, indiscrets, tous, sans elles.
On dit que la Lampreave est morte, je n'en crois pas un mot. Tant de gloire laisse comme un goût de déjà vu. Elle l'a dit un jour : les témoins ne mentent pas.


Luz Sanchez-Mellado

Traduction libre d'isa du moun.
Vous pouvez retrouver ces articles en vo celui de Pedro Almodovar et celui de Luz Sanchez-Mellado 

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